Le mot psychiatrie a été inventé en 1808 par le médecin et anatomiste allemand Johann Christian Reil. Par une traduction discutable de la racine grecque de ce néologisme (1), les psychiatres ont revendiqué la qualification de médecine de l’âme. Le catéchisme chrétien culturellement dominant en Europe a appris aux enfants que l’homme se composait de deux parties. Le corps, purement terrestre, et l’âme, entité divine. Solide rodage à une compréhension binaire de notre être même.
Laissons de côté les relations aussi passionnées que conflictuelles entre les religions solidement structurées et les sciences en constante expansion dans les esprits depuis le 17ème siècle pour tenter de savoir où nous en sommes en 2020. L’entreprise est audacieuse, et le risque de fausse route, pour parler en praticien, suppose de disposer de guides solides pour demeurer cohérente (2).
Du côté de la science, notre incontournable mère nourricière intellectuelle, faire référence à l’âme n’est-il pas faire de nous des traitres à la connaissance scientifique la plus objective ? Des sortes d’obscurantistes impénitents pour le dire tout de go. Allons écouter un pur produit de la cité scientifique, connu de notre site, dont les travaux de notoriété internationale forcent le respect. Voici comment Philippe Guillemant définit l’âme en 4 caractéristiques. -quelque chose qui ne ressort pas du domaine de la mécanique -quelque chose qui nous maintient en vie
-quelque chose qui survit après notre mort
-quelque chose qui est immortel
Bien entendu, chacun peut discuter de la pertinence des critères retenus, mais la réponse de Guillemant est sans appel. Ces quatre caractéristiques sont compatibles, affirme-t-il, avec ce que nous savons en 2020 de la physique fondamentale (3).
Un témoignage unique muni du label de la cité de la science, aussi brillant soit-il, ne peut entrainer une adhésion éclairée. C’est pourquoi nous convoquons à la barre un homme de lettres exceptionnel : François Cheng. La raison d’un tel choix en apparence paradoxal ? Le titre de son ouvrage intitulé... «De l’âme» (4). Une seconde fois ici, même méthode. C’est une video à hauteur d’homme qui va nous éclairer (5).
Alors, cette médecine de l’âme ? C’est loin d’être une idée idiote ou dépassée par nos techniques. Sauf que la psychiatrie, tournant le dos à la philosophie, grisée par la chimie et la tentation de ne s’attaquer qu’aux symptômes et comportements, faute de comprendre leur cause, a raté son objectif. Nos amis psychiatres, qui auraient du être en tête de la pensée médicale (6), nous ont tous entrainés dans leur sillage. Sans que nous ne disions mot. L’âme qui soigne ou qui détruit, les malades comme les médecins, a disparu de notre horizon mental. Mais, elle a peut--être la vie bien plus dure qu’on ne l’imagine souvent.
Elle ne peut justement, nous venons d’examiner de solides arguments allant dans ce sens, jamais... rendre l’âme.
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Notes :
(1)La racine «Psyché» est devenue l’âme. Actuellement on parlerait plutôt d’esprit ou de... psychisme. Quant à «iatros», la banalisation de la notion de maladie iatrogène ne laisse aucun doute. C’est bien du médecin dont il s’agit.
(2) L’accusation de délire plane sur la tête de qui ose transgresser les limites bien étanches des disciplines académiques. Jadis, nos anciens parlaient de blasphème et l’excommunication était proche. Socrate avec sa tisane de cigüe y laissa sa vie.
(3) Cette video montre en six minutes que les scientifiques ne peuvent plus affirmer que la notion d’âme est incompatible avec les dernières connaissances de la reine des sciences. Cependant entre être compatible avec, et expliqué par, il y a un grand pas. Lien.
(4) François Cheng, De l’âme, Albin Michel, 2016, 156 pages, 14 euros.
(5) Interwiew de François Cheng par le journaliste François Bunel , lien .
(6) Le temps est encore proche où les neuropsychiatres, encore indifférenciés, étaient les seuls spécialistes de tout ce qui avait un rapport avec la tête et le système nerveux dans son ensemble. L’examen clinique neurologique, bien avant l’imagerie médicale, permettait d’établir des diagnostics topographiques d’une précision remarquable. Contrastant, hélas, avec une pauvreté thérapeutique dramatique.
François-Marie Michaut
Os court :
« Rendre l’âme ? D’accord, mais à qui ? »
Serge Gainsbourg
Lettre d'Expression médicale
LEM n° 115924 février 2020