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05 novembre 2017

Ivan Illich, prophète négligé (LEM 1040)

Lettre d'Expression médicale

 

LEM n° 1040  
http://www.exmed.org/archives17/circu1040.html

     6 novembre 2017

   Ivan Illich, prophète négligé

                               François-Marie Michaut
                                   
               

 
   Prophète nous indique le grec, c’est celui qui dit d’avance. La négligence pour qualifier mon auteur n’a rien à voir avec sa tenue vestimentaire. Pour les médecins, cela évoque bien autre chose. L’héminégligence ( négligence spatiale unilatérale) est l’incapacité à « détecter, s’orienter vers, ou répondre à des stimuli porteurs de signification lorsqu’ils sont présentés dans l’hémi-espace contralésionnel » ( Heilman, 1973) (1).

   Pourquoi qualifier ainsi l’autrichien Ivan Illich qui nous a laissé en 1975 un ouvrage visionnaire sur ce que nous faisons de la santé ? (2).

   Son originalité ? Elle réside dans la mise en oeuvre simultanée par un seul auteur d’une triple vision issue de sa formation non médicale. Celle d’un scientifique diplômé de cristallographie (3), celle d’un historien, et celle d’un théologien (4). Nous voici dans un cas remarquable de ce que me semble être la véritable transdisciplinarité : le fait de cultiver une  capacité de passage à travers différentes disciplines au lieu de les empiler sans contacts entre elles comme le fait la pluridisciplinarité (5).

 « Je crois pouvoir démontrer que, pour une bonne part, c’est la médecine actuelle qui rend la société plus malsaine» nous dit la page 48. Thèse provocatrice qui mérite plus qu’un haussement d’épaules.
Cette évolution, constatée il y a 42 ans, n’a pas pris une ride. Elle s’est même aggravée.


« Tout contrôle public d’un complexe médico-industriel en croissance illimitée ne peut que renforcer son expansion malsaine »  (6). Pour Illich, quelques soient les pays, les régimes et les partis, la santé des hommes est devenue en même temps une marchandise et un enjeu politique majeur. Elle est là, cette expropriation de la santé annoncée en sous-titre.



  Alors, les médecins dans tout cela ? « La triste vérité est que ni le contrôle des coûts, ni le contrôle de la qualité ne garantiront jamais que l’activité déployée par les médecins s’exerce au service de la santé des gens» (7). Il est des affirmations qui choquent, il est des études scientifiques impossibles à ignorer. Dépassons l’indignation facile pour en sonder en conscience la pertinence en 2017.
   « Que les médecins contemporains le veuillent ou non, ils se conduisent en prêtres, en magiciens et en agents du pouvoir politique ». (8)



   L’industrie des services censés apporter aux humains une meilleur santé, de la conception à l’inhumation est frappée d’une contre productivité paradoxale. Comme si, plus on se soignait plus notre état de santé se dégradait.

   Il est de salubrité publique autant que personnelle de perdre quelques heures à autopsier cet ouvra ge aussi libérateur que stimulant. 

  
Le temps du purgatoire et de la malédiction est achevé, le  travail du prophète Yvan Illich, aussi sérieusement critiqué puisse-t-il et doive-t-il être encore, demeure.
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Notes :
(1) Pour plus de détails,  https://fr.wikipedia.org/wiki/Negligence_spatiale_unilaterale 

(2) I. Illich, Némésis médicale, l’expropriation de la santé, Seuil 1975 pour la version française,
218 p.

(3) Donc aucun conflit d’intérêt avec les sphères médicales.

(4) Illich était ordonné prêtre catholique.

(5) La médecine générale est un bon exemple de transdisciplinarité. La médecine hospitalière regroupant dans un même lieu de nombreuses spécialités figure en quoi consiste la pluridiscipinarité.

(6) Opus cité, p.116

(7)  id. p.105.
(8) id. p.75
  


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«  La période présente est de celles où tout ce qui semble normalement constituer une raison de vivre s’évanouit, où l’on doit, sous peine de tomber dans le désarroi ou l’inconscience, tout remettre en question

 Simone Weil, 1934

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