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27 janvier 2019

Carottage et chalutage (LEM 1104)


                            Feuillets de Systémique Médicale (4)


                                                                                                   

   Est-il interdit de prétendre qu’aucun d’entre nous ne vit  totalement dans la réalité avec laquelle il a la conscience d’être en contact ? Freud et ses continuateurs, si décriés soient-ils actuellement, l’ont largement démontré.La seule table de lecture objective (1) disponible est l’idée que chacun construit de sa réalité au cours de sa courte vie. Les sciences se nourrissent, tout comme nous , de théories. Le mot grec est cousin de celui de théâtre. Construction d’un monde fictif  dans un spectacle comme dans le cheminement d’une existence ? Ce n’est pas invraisemblable.

 Comment se sont construites les grandes traditions que se sont donnés les humains depuis les temps les plus anciens, dont les différentes religions se sont chargées de transmettre (2), chacune à leur façon orale, gestuelle , le récit du monde environnant ? Les sciences humaines, anthropologie, théologies, histoire des religions, sociologie, psychologie, sciences sociales, politiques, économiques, tournent autour du pot avec, en lieu et place d’une explication profonde indiscutable, une accumulation de descriptions  de plus en plus détaillées à grand renfort d’auxiliaires technologiques, sans répondre à la question que pose tout enfant. Pourquoi  c’est comme ça et pas autrement ?

La technique du carottage, le passe-partout scientifique


  Les sciences, se constituant en opposition systématique de plus en plus frontale  avec ces croyances jugées dépassées et contradictoires, ont su définir leur méthode de recherche. Coup de chapeau de rigueur à René Descartes et à tous ses consciencieux continuateurs de par le monde. Le principe général est simple et accessible à tous.
On se heurte à une question pour laquelle il n’existe pas (encore) de réponse immédiate ? On la découpe comme un saucisson en autant de  tranches qu’il est nécessaire d’élucider une à une puis d’assembler jusqu’à découvrir la réponse à l’énigme initiale. En médecine, nous avons l’habitude des compte-rendus des études publiées dans la presse spécialisée. Leur fin est toujours la même quasiment rituelle. Cette étude doit être confortée par une étude plus profonde sur les questions demeurant en suspens.
Il n’est pas impossible de détecter le mécanisme mental qui impose une telle stratégie de recherche. Un dogme, issus d’une compréhension superficielle du doute cartésien est posé au départ : la vérité n’existe pas. Nous ne pouvons donc que tenter de l’approcher en allant vers de plus en plus d’investigation de chaque élément constituant.
Un rêve secret, jamais clairement formulé : en allant assez profond, sur le modèle du forage minier, les humains découvriront le pourquoi du comment de chaque partie du réel. Hélas, aucune de nos grandes interrogations humaines n’a pu être élucidée ainsi. La science a simplement renoncé à l’hypothèse de l’existence d’une quelconque vérité. Un adage simple court partout : la vérité n’existe pas. La mission scientifique est alors de toujours courir après cette vérité avec la conviction qu’elle n’est pas atteignable, juste de plus en plus approchable sur le modèle d’une asymptote (3). Nous agissons comme si  Démocrite avait raison dans sa formulation proverbiale : la vérité est cachée au fond du puits.
 Depuis Galilée et Copernic, cela demeure un puits… sans fond malgré tous nos efforts.

 Et pourtant, la science n’a pas baissé pavillon. Elle cherche toujours un grand principe unificateur (4). En renvoyant aux philosophes la métaphysique jugée hors de son domaine - au jeu de rugby, on dirait : botter en touche - elle peut prétendre occuper le point le plus élevé de la connaissance humaine. Les choses ne sont cependant ni aussi caricaturales, ni aussi définitives que cela a été longtemps cru. La notion de principe organisateur, de direction d’ensemble du vivant et de l’organique des particules élémentaires au cosmos continue de nous tourner autour, tant il est difficile de s’en passer. Prendre en compte un ouvrage remarquable : « La synthèse des sciences » de Dominique Aubier (1973) page 9 à 39. La frontière de la métaphysique est encore interdite par les gardiens de l’orthodoxie scientifique. Mais, comme n’’importe quelle autre barrière, elle sera un jour franchie. Elle l’a même peut-être déjà été, sans que la nouvelle  ne se soit propagée. Trop perturbant pour notre culture toute entière que ce retour en force de ce qu’il y a au delà du domaine reconnu des lois de la physique. L’ombre d’une entité créatrice, pour ne pas dire le mot scientifiquement tabou de Dieu, plane au dessus de notre modernité. Bien différente, faut-il le dire, de tout créationisme.

  La technique du chalutage, l’incontournable joker

    Nous voici donc devant une gigantesque accumulation de savoirs, dépassant depuis longtemps les capacités de compréhension de tout cerveau humain. La science, si ce singulier a encore un sens en 2019, ressemble à une tour de Babel. Les langues qui s’y parlent, à force de se spécialiser, deviennent  étrangères les unes aux autres. Voilà une situation préoccupante. Faute de pouvoir modifier ce que nous avons bâti avec tant de talent et de travail, il nous faut changer de stratégie.  Sans détruire ni renier quoi que ce soit, l’obstacle est à contourner. Appelons la marine à notre secours.  La technique la plus productive pour capturer des poissons en haute mer est celle du chalutage.

Il suffit de déterminer avec quelle énergie tracter le filet de capture, d’en déterminer la profondeur de travail et de fixer la route suivie et la taille des mailles pour pouvoir prendre ce qu’on cherche. Changement fondamental d’optique : la course à la connaissance ne va plus obligatoirement de haut en bas, de la surface au fond, mais elle s’autorise à aller librement en long, en large et en profondeur. Passage d’une vision en deux dimensions à un univers explorable en trois dimensions. Cela change tout.

Ces considérations peuvent sembler bien arides, simplistes ou trop générales pour certains. Elles sont cependant indispensables à tenter de cerner avant d’oser aller plus loin sur le chemin systémique peu fréquenté qui a été ouvert ici. L’objectif visé ici n’est pas de tenter de convaincre quiconque de quoi que ce soit, mais simplement de montrer que toute mise en question (5) est un véritable enrichissement pour qui  a le culot de s’y risquer. Nous sommes étouffés par des réponses immédiates  à tout et n’importe quoi. Une seule parade : continuer sans se lasser à poser des questions puisque notre cerveau humain est le seul à disposer ce ce pouvoir. Confucius cité plus bas ne tient pas un autre discours.


____________________

Notes :

(1)  La notion d’objectivité si chère à la pensée scientifique héritée du 19ème siècle, reprise par la neutralité supposée du médecin dans son exercice est devenue un leurre. L’influence directe de l’intention de guérir son patient sur l’évolution d’une maladie, en dehors de toute activité pharmacologique décelable, connue sous le nom populaire d’effet placebo, démontre qu’il s’agit d’une illusion. La physique quantique est formelle : l’expérimentateur  n’est jamais neutre.

(2)   Sous la forme de récits imagés pour en faciliter la transmission orale, picturale, architecturale, musicale, gestuelle, artisanale bien avant l’invention de l’écriture. Nous n’en n’avons retenu que des symboles dont nous comprenons bien mal le sens profond avec nos seuls outils scientifiques.

(3) Ligne droite qui s'approche indéfiniment d'une courbe sans jamais la couper, même si on les suppose l'une et l'autre prolongées à l'infini, avec une distance plus petite que toute quantité finie assignable; p. ext. branches de courbes se rapprochant indéfiniment l'une de l'autre sans se toucher. Les asymptotes de l'hyperbole (Ac. 1798-1932); ligne asymptote (Lar. 19e, Nouv. Lar. ill.); point asymptote (Lar. 19e. Nouv. Lar. ill., Quillet 1965)
Source: CNTR (CNRS)

(4) Principe est compris ici comme origine, ce qui vient en tête, ce qui vient en premier.

(5) L’enseignement académique en France, jusqu’à ce jour, ne favorise pas du tout une telle attitude  curieuse de la part de ses étudiants. À mettre en  perspective avec le Talmud ( l’étude),  l’un des livres sacrés avec la Bible, du Judaïsme, qui est composé de plusieurs milliers de questions et réponses sur tous les aspects de la vie issus de la tradition orale.

François-Marie Michaut 26 janvier 2019


Os court ;
« Je ne peux rien pour qui ne se pose pas de questions. »
Confucius (-551 -479)

Lettre d'Expression médicale

LEM n° 1104 sur Exmed  
http://www.exmed.org/archives19/circu1104.html
                                          

                                                 



                             

                                            

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