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10 février 2019

Surdiagnostics (LEM 1106)

                                    


                                       

                                                 
       Mes oreilles d’enfant d’une famille non médicale furent frappées par le certificat de compétence accordée par les adultes à notre médecin traitant : il a un bon diagnostic. Certitude rassurante d’être entre les meilleures mains du pays le jour où la maladie frappera à la porte.    Il est vrai que savoir donner un nom à une maladie répertoriée en lisant à travers les symptômes anormaux d’une personne comme dans un livre n’est pas une capacité donnée à tout le monde. Diagnostiquer, c’est, merci le grec savant, connaitre à travers. Voyance extralucide ?
En un siècle, purement issue de l’examen clinique avec ses phases rituelles d’interrogatoire, d’inspection, de palpation, de percussion et d’auscultation, la démarche diagnostique s’est enrichie des découvertes technoscientifiques  les plus étonnantes. Chacun en entend parler tous les jours, sans obligatoirement savoir de quoi il s’agit exactement. Le niveau général de connaissances des choses médicales, même chez des gens très diplômés, demeure fort rudimentaire (1).

      L’invasion des techniques d’imagerie, des endoscopies, des bilans biologiques systématiques, des directives de bonne pratique, des arbres de décision, de la profusion des incitations thérapeutiques sous la pression de l’industrie pharmaceutique nous a fait sombrer dans un autre univers. Celui de la médecine objet de consommation.
Les hôpitaux sont conçus comme des usines à produire des soins : ses différents rouages doivent tourner avec la plus grande productivité possible. Les utilisateurs n’ont plus rien à demander : il sont devenus la matière première d’une énorme machine.

    La machine-à-soins , une fois que vous y êtes entré, ne se soucie plus beaucoup de ce qui vous a fait faire appel à elle. Peu importe le diagnostic d’entrée, votre histoire, vos symptômes, vos attentes ou vos craintes, vous devez être bilanté (2). Chaque anomalie repérée entraine à son tour une chaine d’investigations complémentaires jusqu’à ce qu’un diagnostic soit posé. Une telle façon systématique de faire (3)  tourner la machine-à-soins, et d’une certaine façon justifie son «plateau technique». Son coût est probablement exhorbitant, mais cela n’inquiète guère. La santé n’a pas de prix dit l’adage populaire.

Mais est-ce bien de santé dont il faut parler ici ? Parce que, qu’est-ce qu’on en fait de tous ces diagnostics péchés à la ligne, ou plutôt au chalut (4) ?
L’histoire du dépistage systématique à la française du cancer du sein est une bonne illustration de... ce que nous ne savons pas. Cécile Bour, radiologue, en toute liberté d’expression et en se mettant du côté des femmes, fait un point remarquable de la question sur son site Cancer Rose. 
Être soigné, pas toujours sans risque, de maladies qui demeureront muettes toute votre vie est-il bien raisonnable ? Vivre sereinement avec l’étiquette d’une maladie potentiellement mortelle, qui est assez héroïque pour le faire ?

   La médecine a longtemps conservé une tradition de secret. Parler latin entre confrères, ne pas prononcer certains mots devant les malades, souci de garder pour soi des informations trop désespérantes, c’est ce que nous avons fait. La mode, directement inspirée du puritanisme anglosaxon, de la transparence (5) à n’importe quel prix, a gagné nos habitudes.

    Et bien maintenant, à nous de nous débrouiller avec cette médecine qui tourne toute seule autour d’elle-même. À une seule condition :  celle de lui fournir la matière première humaine dont elle se nourrit. Combien de temps allons-nous nous laisser traiter comme une banale matière première dépourvue de toute conscience ? Longtemps encore nous comporterons-nous comme des fournisseurs  muets d’une telle industrie ?
La santé n’est pas une marchandise, la santé n’est pas un bien de consommation, la santé n’est pas un objectif politique, la santé n’est pas un droit. Elle n’est pas une réalité ni un projet, elle n’est qu’un désir, elle n’est qu’un rêve. Alors imaginer y parvenir en multipliant à l’infini de ce qui est techniquement faisable les interventions médicales ne peut être qu’une dangereuse  illusion. En France, 34 200 décès iatrogènes par an (6) ce n’est pas rien.

François-Marie Michaut

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Notes de l'auteur :


(1)  Réalité souvent peu perceptible par les cliniciens, tant le vernis de connaissance diffusé en profusion par Internet, les livres de vulgarisation  et la presse peut faire illusion.  Reformuler ce qu’on veut faire comprendre et être attentif au retour pour eviter les quiproquos. n’est pas un luxe.  

(2) Le verbe «bilanter» est un vilain néologisme du jargon médical signifiant l’action de faire passer un bilan. Donc  imposer de façon systématique tous les examens dits de routine à un malade, cet ensemble servant de fondation au sacro-saint dossier numérisé.  

(3) Ne pas oublier que les médecins doivent aussi se protéger des accusations en justice qui peuvent être portées contre eux s’ ils ne procèdent pas à toutes les investigations possibles. L’épée de Damocles de la responsabilité médico-légale est un danger constant.

(4) F-M Michaut, Carottage et chalutage,  Feuillets de systémique médicale 4,  LEM 1104 

(5) Vision binaire du pur d’un côté, et de l’impur de l’autre.  Casher ou halal  des aliments dans de grandes traditions.  
                                     
(6) Source Wiki
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Os court ;
«  Ne nous laissez point succomber au diagnostic, mais délivrez-nous des maux de la santé. »
  Ivan Illich 

 Lettre d'Expression médicale n° 1106

LEM n° 1106
 sur le site EXMED

      11 février 2019

La-machine-à-soins (Exmed)

  
Pas un seul moteur ne résiste à fonctionner en sur-régime. Il serait avisé de s’en souvenir quand notre médecine continue de s’emballer comme si c’était sa seule raison d’être.
   La LEM 1106 : Surdiagnostics , puisque des soins en découlent obligatoirement, est une invitation à la réflexion personnelle.

François-Marie Michaut 
11-12 février 2019

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