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15 juin 2015

Quarante et un médecins LEM 915

Lettre d'Expression médicale

LEM n° 915      15 juin 2015


              
 
                                                           

                                    Quarante et un médecins                          


                                             Docteur François-Marie Michaut



   C’est le nombre, non négligeable, de praticiens qui ont été consultés, en cinq ans, par Andreas Lubitz, le copilote qui a écrasé volontairement les 150 occupants de l’A320 de la compagnie Germanwings. Source : Le Monde du 11 juin 2015.
Comment peut-il se faire que pas un seul de ces médecins n’ait agi pour que ce sujet cesse de piloter des avions, en particulier ceux qui transportent des passagers ? Se poser cette question n’a rien d’illégitime.

   Pour des gens du métiers, les interrogations fusent de tous les côtés. En voici quelques unes.

La tendance, pour ne pas « enfermer » les patients dans des étiquettes qui puissent leur nuire, à ne pas poser de diagnostic psychiatrique est à mettre en question. Toute pathologie du comportement ne peut pas, scientifiquement parlant, être qualifiée de dépression. La simple description des symptômes, comme le fait le DSM américain pour contourner les querelles de chapelle entre spécialistes,n’est qu’un outil de recherche : l’utiliser comme manuel diagnostique est une tromperie intellectuelle majeure.

Le version édulcorée, chérie des journalistes comme des hommes de loi, est une prétendue «fragilité psychologique». Comme si notre fragile cerveau était une sorte de muscle plus ou moins bien entrainé ! Quand quelqu’un vit intérieurement dans une réalité déformée, quand ses limites personnelles ne lui sont pas perceptibles, nous sommes dans le domaine de la psychose. Cela doit pouvoir être dit aussi clairement que l’on parle d’une paraplégie, d’une surdité, d’une cécité ou de tout autre handicap. Il est vrai que la compréhension habituelle de la notion de psychose, comme une peur collective aussi contagieuse que peu motivée, ne simplifie pas les choses.

Le monde médical devrait rouspéter ouvertement quand est mise en avant une étiologie de sociologie de bazar aux comportements les plus graves. Le refrain de l’enfance malheureuse, des carences sociales ou affectives, des drames familiaux ordinaires n’a strictement aucun intérêt en dehors des tribunaux.

-La spécialisation médicale pose aussi de graves problèmes. Andreas se plaignait avant tout de troubles visuels, qui, disait-il, pouvaient l’empêcher un jour de voler. Il semble bien qu’aucun confrère n’ait détecté le moindre trouble objectif. Que pouvaient-ils faire d’autre que tenter de le rassurer : « Non, soyez tranquille, nos examens sont formels,votre bilan des yeux ne montre aucune anomalie ?
Multiplier les avis différents et les consultations, quand on est persuadé de quelque chose, aussi folle soit cette conviction, cela ne laisse aucune trace. Toujours plus de la même chose, les systémiciens savent bien que cela ne sert jamais à rien.

-Tout médecin est ligoté légalement, dans nos pays, par l’obligation du secret professionnel. Impossible donc de livrer un diagnostic à un employeur.
C’est qu’intervient, ou devrait idéalement intervenir, la médecine du travail. À  une double condition près. Que le médecin clinicien puisse le joindre ( il ne dispose que des dire de son patient)  et lui faire part de son avis sur la dangerosité de la poursuite des activités professionnelles. La seconde condition est que le médecin du travail ne soit pas dans un lien de dépendance par rapport à l’entreprise en question. La question du secret médical dans cette discipline est loin d’être évidente.

-Sur les 41 médecins «consommées» en 5 ans, qui a bien pu se sentir responsable ? Un patient qui tire toutes les sonnettes, le praticien le sent vite, et le résultat est immédiat. Il ne peut pas s’investir. Michaël Balint l’a fort bien observé en Angleterre en nous expliquant le mécanisme de «la dilution des responsabilités».

    Finalement, sans faire de reproche à quiconque (et de quel droit le ferais-je ?), n’a-t-il pas manqué dans cette terrifiante affaire qu’un seul personnage médical ?
Lequel ? Celui d’un véritable généraliste, occupant pleinement sa place, rien que sa place mais toute sa place dans un système sain de distribution des soins.
   Ce dernier aspect, soyez tranquille, il est bien trop dérangeant pour les pouvoirs en place. Vous ne le verrez évoquer dans aucun écrit.  Il est simplement impensable pour les esprits issus de la connaissance technocratique. Chez ces gens influents, on préfère laisser mourir d’asphyxie ce métier si particulier.



 

                      

  
Os Court :

 
« L’âme d’un homme est un domaine secret et difficilement accessible. » 
 

Georges Duhamel (écrivain et médecin)

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